L’exposition collective  » folds exhibition  » se tient à Londres du 20 novembre au 1er décembre. May Rohrer fait partie des artistes qui y sont exposés.

Nous vous avions déjà parlé de cette photographe en mars dernier, lors de l’exposition « la caresse et le meurtre hésitent dans leurs mains », proposée par Hélène Planquelle, en partenariat avec La Condamine. Nous avons posé quelques questions à May Rohrer à l’occasion de cette exposition londonienne. Elle évoque avec passion son approche de la photographie et son univers artistique.

INTERVIEW DAHINDEN – MAY ROHRER

Quels ont été les points de départ de votre démarche artistique et de votre pratique de la photographie ?

Au départ, ce qui a véritablement lancé ma démarche artistique, c’est une recherche sur la fusion, l’entremêlement des corps, à travers la lumière et la couleur qui les sculptent, sur l’expression du corps comme expression de l’identité, de la dualité.

J’étais troublée par l’ambivalence de l’être humain, ses émotions, sa façon d’incarner son corps. J’ai tenté de résoudre cette énigme par l’image.

L’image me permet de mieux appréhender le monde, les autres, et moi, mais aussi de créer un monde alternatif. Elle saisit quelque chose d’inédit, fixe le temps pour ouvrir à une pensée, une réflexion. Elle me permet un « pas de côté », une prise de distance, et en même temps de me rapprocher de mon sujet.

La photographie me permet d’exprimer une réalité intérieure qui peut nous dépasser. C’est donc naturellement que l’image photographique est devenue mon médium de prédilection.

May Rohrer lors de son passage dans les locaux de Dahinden à Paris


Comment décririez-vous votre univers ? Existe-t-il un fil conducteur, un lien entre vos différentes séries ?

Mon univers est fait de dualité, dans une atmosphère qui pourrait sortir d’un rêve, d’un flottement. Je crée des mises en scène avec des personnages qui incarnent mes désirs, mes tourments, mes fantasmes. Il y a une recherche d’intériorité à travers mes images, et chaque série va vers une gradation de contact avec moi-même et avec le spectateur.

Le fil conducteur dans mon travail, c’est qu’il questionne toujours l’unicité des êtres, et notre rapport à l’autre, dans un dialogue corps-image.

Mes dernières séries ont pour point de départ la fusion impossible entre deux corps. J’y interroge notre regard et notre perception corporelle, jusqu’à mettre mon propre corps en jeu.

La photographie est pour moi un moyen d’emprise sur l’éphémère de cette rencontre entre les corps : elle me permet d’abolir cette distance inhérente, de rétablir une proximité, d’aller vers une étreinte où l’éphémère peut durer.

Je cherche ainsi l’état visuel d’une dualité du corps, dans une tension entre union et séparation : à soi, à l’autre, au monde.

Parlez-nous de cette exposition à Londres : quelle image allez-vous y présenter ?

J’ai choisi d’exposer une photographie grand format (120 x 50 cm) issue de ma dernière série à l’exposition collective Folds, à Lewisham Arthouse – Project Space à Londres.  Cette exposition réunit 13 artistes mêlants photographie, peinture, dessin, vidéo, installation et sculpture autour de la notion du pli.

“Becoming One” est une photographie issue de ma réflexion sur l’unicité des êtres, en autoportrait avec mon amie et muse Elena Ramos, artiste contorsionniste avec qui je collabore depuis mes débuts en photographie. Cette photo iconique clôture à elle seule un cycle en 3 séries sur l’(im)possible fusion de deux corps et leur quête de contact via l’image.

Ne faire qu’un, ici Une, dans toute la singularité du féminin, questionne les corps et leurs limites, à travers leur mélange qui se fait visuel et tactile à la fois, révélant chair, textures, couleurs et sensualité. Ici, la fusion apparente devient transformation, et augure cette fois un bon présage : ne faire qu’une, non pour posséder l’autre et l’incorporer, mais partager, enrichir, multiplier cet être hybride créé cette fois à deux. Devenir « Une » amène à une nouvelle vision : celle de la renaissance de l’amour.

May Rohrer lors de son passage dans les locaux de Dahinden à Paris


Comment avez-vous travaillé cette photographie ? Vous êtes freelance spécialisée dans la retouche et le tirage d’art pour l’exposition, parlez nous de votre processus de travail et de votre collaboration avec Dahinden.

J’ai volontairement choisi de n’exposer qu’une seule photographie.
A partir de là, le tirage devait être parfait, et représenter fidèlement mon point de vue, en adéquation avec mon esthétique et la subtilité des couleurs à la prise de vue.

Je travaille chacune de mes images de la prise de vue au tirage avec une minutie particulière sur la colorimétrie. Je choisis mon support de tirage selon le rendu que je souhaite véhiculer au spectateur : une  image où la douceur de la peau veloutée va ressortir sur un papier lisse mat par exemple, ou bien une image avec un contraste et une profondeur des noirs sublimée, sur un papier baryté par exemple.

Ici le travail de retouche était un travail délicat et rigoureux, pour retrouver avec exactitude les teintes chair, la vibrance des reflets colorés, et la profondeur des teintes sombres.

J’ai fait appel à Yann, tireur Fine Art chez Dahinden, pour m’aider à restituer avec plus de précision les tonalités typiques de mes photographies, notamment mon bleu-violet, très difficile à restituer de l’écran au papier !
En effet sur un tel format, cela ne suffit pas de faire un test en petit format, il faut faire des bandes test grandeur nature de la photo et ajuster en fonction du résultat sur le papier.

Travailler en direct sur les traceurs avec Yann m’a permis de trouver le résultat parfait et de restituer ces teintes bleu-violettes si caractéristiques de mes photographies, sur le papier adéquat, ici un papier baryté Hahnemühle 310g. Yann a compris immédiatement l’effet que je voulais donner à mon image, et nos compétences communes ont permis d’arriver à un résultat parfait.
Yann est devenu un vrai partenaire de confiance pour mes expositions, il connait mes goûts et mon exigence et son regard affuté m’offre un œil nouveau à chacune de nos collaborations. Je l’en remercie !

May Rohrer lors de son passage dans les locaux de Dahinden à Paris


Vous avez publié plusieurs livres et livrets d’artistes où l’on peut découvrir, en plus de vos photos, des poésies. Quel est votre rapport à ce genre littéraire ? Avez-vous recours à d’autres formes d’expression artistique ?

J’ai toujours adoré admirer les beaux livres. C’est un objet unique et familier avec lequel je ressens un rapport d’intimité. Il y a un début et une fin, et on peut les choisir en ouvrant et en fermant le livre. J’aime ce lien où le spectateur peut aussi réinventer une narration à travers le texte et les images.

Je pratique la photographie car jusque là c’est le médium le plus juste et avec lequel je me sens la plus à l’aise pour exprimer ce que je ressens. L’image a un pouvoir absolu et permet de partager en un clin d’œil des visions et émotions intenses, de nous transporter dans un univers singulier.

Ce partage, cette recherche de contact avec l’autre par l’image, est essentielle dans mon travail. Mais parfois, l’image ne suffit pas. J’ai besoin d’incarner autrement mon propos. Cela a pu être par des performances où j’interviens directement avec mon propre corps dans « L’Illusion d’une Fusion » avec Paula Alves par exemple, en mêlant corps, voix, et photographie. Mais cela peut aussi prendre différentes formes, comme l’écriture, qui vient parfois comme un rempart avec l’image. Depuis un moment, j’expérimente aussi la gravure et la photogravure, où je découvre d’autres possibilités, et avec lesquelles je construis un projet de livret d’artiste inspiré de mes photographies, mais dans un monde encore plus surréel.

Pour ce qui est de l’écriture, j’ai commencé enfant à écrire des poèmes en même temps que je prenais des photographies. L’écriture a toujours été un endroit de réconfort et d’expression personnelle très fort.

Articuler poème et visuel s’est fait naturellement pour moi, mais avant c’est l’écriture qui prenait le pas.

Aujourd’hui c’est la photographie, justement car elle me permet de véhiculer des ressentis sur lesquels je ne peux pas mettre de mots. Ce qui devient intéressant, c’est quand c’est le contraire : la photographie ne suffit plus, et j’ai besoin d’établir un dialogue entre ces deux formes d’expression.

Cela donne des livres d’artistes très intimes que je tire soit en édition unique, soit en édition très limitée, du fait du caractère inédit de ma démarche à ce moment là. Je travaille actuellement sur un projet de livre avec des photographies argentiques en noir et blanc faites ces dernières années, et des poèmes en écho, à partir de mes textes sur la notion de vide.

May Rohrer, lors de l'exposition " folds exhibition " à Londres


Êtes-vous toujours membre de la Condamine ? Pouvez-vous nous parler de l’Association Metamorphosis ?

La Condamine m’a beaucoup aidée au début de la diffusion de mes créations, notamment à rendre plus claire ma démarche artistique auprès des publics. Je suis toujours en contact avec eux et ils sont d’un réel soutien pour moi. Pierre-Benoit m’a conseillé et épaulé depuis le début de mon accompagnement l’année dernière, ça m’a vraiment aidé à avancer.

Ils restent donc une belle communauté d’artistes dont je fais toujours partie, et m’ont aussi permis de faire de belles rencontres.

Concernant l’Association Metamorphosis, je l’ai créé il y a plusieurs années afin de mettre en avant la jeune création contemporaine, notamment en photographie. L’idée aujourd’hui est de se regrouper en collectif d’artistes avec des pratiques qui prennent en compte l’image et le corps, de diffuser nos images par des expositions régulières, et de réaliser des ateliers.

Avec mon amie artiste-peintre Hélène Planquelle, nous travaillons actuellement à un projet commun d’exposition courant 2020.

May Rohrer, photographe – www.mayrohrer.com

Folds Exhibition, du 20 Novembre au 1er Décembre 2019 – Lewisham Arthouse, Londres

May Rohrer - exposition "FOLDS" à Londres